Au-delà des différences, unis par une même quête
Le soleil implacable de Ndjamena frappait durement le bitume, réchauffant les carcasses métalliques des motos garées sous un grand arbre poussiéreux. Là, au “tacha”, ce parc de stationnement informel où s’alignaient des clandomen, se tenaient Ahmat et Danzabé, deux jeunes hommes que tout semblait opposer, mais que la vie avait réunis.
Deux destins croisés
Ahmat, la vingtaine bien entamée, était issu d’une famille modeste du Nord du Tchad. Après des études de droit à l’Université de Ndjamena, il rêvait de devenir avocat, de défendre les opprimés et de plaider pour la justice. Mais depuis deux ans, il arpentait les rues de la capitale sur sa moto, transportant des clients pour quelques billets.
Danzabé, lui, venait d’une petite bourgade du Sud. Passionné par les chiffres, il avait étudié les mathématiques avec l’ambition de devenir professeur. Pourtant, tout comme Ahmat, il avait fini par se résigner à ce travail de clandomen pour subvenir aux besoins de sa famille.
Leurs journées se ressemblaient. Entre deux courses, ils partageaient des discussions animées, des rires et parfois même des silences pesants, marqués par le poids des réalités. Ce 28 novembre, alors que le Tchad célébrait la proclamation de la République, une question allait troubler leur routine.
Une conversation à cœur ouvert
Sous l’ombre parcimonieuse de l’arbre, les deux compères étaient assis sur un vieux banc en bois, leurs motos garées à côté. Les clients se faisaient rares ce matin-là, et Danzabé, le regard pensif, brisa le silence :
— Dis-moi, Ahmat, c’est quoi pour toi la République ?
Ahmat haussa les épaules.
— La République, c’est censé être pour le peuple, non ? Mais je me demande souvent ce qu’elle a fait pour nous. Regarde où on en est.
Danzabé, d’un ton mi-amusé, mi-amère, répondit :
— Peut-être qu’on n’est pas “le peuple” dont ils parlent là-bas, ceux qui décident.
Ils éclatèrent de rire, mais un rire teinté de frustration.
Ahmat reprit, plus sérieux :
— Tu sais, au lycée, on nous disait que la République garantit l’égalité. Moi, je ne vois pas cette égalité. Toi, chrétien, et moi, musulman, on travaille ici ensemble parce qu’on n’a pas le choix. Nos diplômes dorment à la maison. L’égalité, c’est quand même autre chose, non ?
La question de l’emploi et de l’éducation
Danzabé hocha la tête, pensif.
— Parfois, je me dis qu’on nous a trompés avec ces études. Mon père a vendu trois chèvres pour m’envoyer à l’université. Maintenant, je gagne à peine de quoi lui envoyer de l’argent pour acheter du mil. Est-ce que ça vaut vraiment la peine ?
Ahmat observa un instant la rue poussiéreuse, où des enfants jouaient avec un vieux pneu.
— Mais si on ne fait pas d’études, qu’est-ce qu’on a ? Peut-être que c’est pire encore. Regarde ces enfants. L’école pour eux, c’est loin d’être une priorité. Et pourtant, c’est là que tout commence.
Une anecdote vint à l’esprit de Danzabé.
— Tu te souviens de l’histoire de Moussa, ce gars qui faisait le clando avec nous ?
Ahmat acquiesça.
— Oui, le prof de physique qui avait fini par abandonner.
Danzabé continua :
— Voilà. Il a essayé de créer une école privée dans son quartier, mais les parents n’avaient pas les moyens de payer les frais. Il a fini par retourner à son village. Maintenant, il cultive du manioc.
Ahmat soupira.
— Et après, ils s’étonnent que les jeunes se tournent vers autre chose, parfois même vers la violence.
Et la santé, dans tout ça ?
Alors qu’un vieux client montait sur la moto de Danzabé, Ahmat en profita pour appeler sa sœur malade, qui avait été admise à l’hôpital général. Quelques minutes plus tard, son visage fermé trahissait son inquiétude.
— Les médicaments qu’on lui a donnés sont encore à acheter, murmura-t-il à Danzabé. À quoi sert l’hôpital si tu dois tout payer toi-même ?
Danzabé, compatissant, hocha la tête.
— Mon cousin est mort parce que sa famille n’a pas pu rassembler assez d’argent pour une opération. Parfois, je me dis que nos vies ici ne valent pas grand-chose.
Une lueur d’espoir
Malgré leur colère et leur frustration, les deux amis savaient qu’ils devaient avancer. Comme le disait souvent Danzabé, “la vie ne s’arrête pas, même si nous on trébuche”. Ce jour-là, ils prirent une décision : utiliser leur temps libre pour sensibiliser d’autres jeunes sur l’importance de se mobiliser pour leurs droits, que ce soit à travers des associations, des débats ou même les réseaux sociaux.
Ahmat, qui avait gardé ses livres de droit, proposa de les prêter à ceux qui voulaient mieux comprendre leurs droits citoyens. Danzabé, avec son esprit analytique, avait l’idée de tenir une petite comptabilité pour les clandomen du “tacha”, afin de montrer comment épargner un peu malgré leurs faibles revenus.
Ce 28 novembre, sous l’arbre du “tacha”, une petite République s’était reformée, celle d’Ahmat et Danzabé, où l’espoir persistait malgré tout.
Commentaire
Bara
says décembre 03, 2024 at 12:39 pmBelle plume